11.6.08

Je suis un intérieur qui se déplace.

Je suis un intérieur qui se déplace.Je suis celle qui était belle et qu’au fil des mois plus personne ne voit.
Je suis un intérieur qui se déplace, je suis visible et invisible à la fois. Le monde ne me voit plus et je passe inaperçue.
Je me promène en tons neutres, mes cheveux ont blanchi, mes pigments se meurent et j’y assortis mes habits.
Les gens ne me regardent plus ; quand ils le font, leur air est miséricordieux et fuyant car ce n’est autre que la fugacité de la vie que je leur balance aux yeux.
Je marche à petits pas pour ne pas me blesser, je longe les murs pour ne pas empêcher les plus pressés d'avancer à leur rythme , je sais bien que cela les embête terriblement ; je prie pour ne pas me faire agresser par des idiots qui pensent que l’on naît vieux et que ce grand malheur n’arrive qu’aux autres .
Hier des jeunes gens m’ont interpellée « Eh la vieille, tu marches pas du bon côté ! »Ils ont ri. Il y avait des travaux et c’est vrai que je ne savais plus trop où aller. A leurs yeux, je suis la vieille, je n’ai aucune identité, pas d'histoire, pas de vie.
La vieille.
Je repense à ma jeunesse, à mes amours passées, à mon amour décédé qui aurait levé son poing pour ne pas me laisser insulter. Nous nous serions bagarrés stupidement, et serions partis en courant...
Mes os me font mal mais je me tais car je ne veux pas faire de ma santé mon seul et unique sujet de conversation qui ne demande qu'à faire la une de mes actualités.
Je me tais et me parle de tout en silence.
Je savoure encore chaque instant de ma vie. Ces instants, je les aime avec le même entrain, peut être plus encore, car je pèse l’importance de tout ce qui se pense, et pas seulement de ce qui se voit.
Je connais la valeur d’un envol d’étourneau, d’un regard d’enfant rassuré vers ses parents, d’une poignée de main chaleureuse ; je mesure l'importance des langages implicites, leur richesse.
En une vie, j’ai appris à aimer l’invisible.