23.11.13

Nodule froid de presque 4 cm sur lobe droit, et un nodule de près de 1cm sur l'autre lobe. Geste opératoire décidé: THYROIDECTOMIE TOTALE.

 Comme prévu, arrivée à 8h00 à l'hôpital.Classée dans les grands stressés de nature, on m'a demandé de prendre deux Attarax et deux Xanax pour me détendre... ça m'a un peu détendue... un peu seulement. Un beau brancardier a l'air blasé, est venu me chercher pour m'emmener dans la salle d'attente  des " bientôt opérés".A la fin du trajet fait d'ascenceur et de couloir, de paneaux indicateurs  aux noms tous  plus effrayants les uns que les autres : "réanimation", "anesthésie", "bloc opératoire" , j'ai lu qu'il était 11heures. J'étais prisonnière du protocole qui me clouait malgré moi à ce lit.  J'ai chialé en silence en détournant la tête de celui qui, en pleine forme, m'emmenait comme un objet sans âme. 

Le brancardier m'a dit "Mof, faut vous dire qu'ils en font  plein des opérations.", un grand psychologue en somme. Une fois dans la salle, j'ai tendu un moment l'oreille à la recherche de paroles humaines qui allaient avec les êtres qui s'agiteaient en blouse verte sans le moindre son. Un homme relativement vieux, allongé lui aussi sur un lit a entamé la conversation avec une infirmière, une grande jeune femme aux cheveux mi-longs noirs sur peau pâle, à l'air calme et apaisant.  La conversation d'une banalité déconcertante au milieu de toute cette angoisse, initiée par le vieux monsieur, m'apaise. J'écoute.  Il lui parle de lumière artificielle, il  demande à la femme si elle est toute la journée sans lumière naturelle. Il lui parle ensuite de son opération car elle le lui demande... 

Tout à coup, j'ai envie d'uriner, ben voyons, j'avais essayé à trois reprises alors que j'étais dans ma chambre avant de descendre dans cette salle, pour ne pas me retrouver dans cette situation  gênante. J'appelle une infirmière. "Il est hors de question de vous lever dans votre état, il va falloir faire dans le bassin ! "Sur le ton que prennent les mamans quand elles refusent que leurs enfants mettent à éxécution leurs idées farfelues...Elle m'en donne un, on me met rapido un paravent à droite, un en face, mais rien sur la gauche, où se trouvaient quand même les portes automatiques, fumées, certes, mais il y avait un peu de passage... à la guerre comme à la guerre, me suis-je dit pour lever cette impression de vague humiliation. A l'hôpital, les  règles d'intimité s'assouplissent...

Ensuite, passage de mon lit à la table d'opération, où  trois coussins plats en plastoc mou couleur bétadine m'attendaient: un pour la tête, un pour le dos et un pour les jambes. Je me suis plaquée là sagement. C'était dur et froid. On m'a ensuite emmenée au bloc opératoire. L'air était glacial alors je me suis mise à trembler. A partir de ce moment là, je n'étais plus moi mais ma thyroïde et son ablation. Rien ni personne n'a daigné me faire croire que non. Au bloc, on ne s'embête pas de paroles, on agit. Dans celui-là du moins.

On m'a posé un masque à oxygène et l'anesthésiste, une femme au visage sévère, pleine de rides et de bijoux, en même temps qu'elle parlait à une autre femme  pour expliquer ce qu'elle faisait, m'a tapoté plusieurs fois séchement le dessus de la main, sans toujours me regarder puis m'a planté un cathéter dans la veine ; ça m'a fait mal mais c'était supportable...Elle a ensuite injecté le produit tout en me disant ;"ça va vous chauffer dans le bras". Mon cul, pardonnez-moi cette expression triviale, mais ça m'a fait tellement  mal, que j'ai tout serré, les poings, les muscles, les dents, les yeux... j'avais déjà eu des injections pour des anesthésies générales pourtant ... En dernier recours,  je me suis dit: "T'as  plus qu'une seule chose à faire c'est t'endormir le plus vite possible, dépêche!"Ben tiens, ça a marché. 

J'ai le souvenir de m'être réveillée en me débattant, soit pendant l'opération, soit à la fin, je ne sais plus, mais je me souviens que je me suis débattue, qu'il y avait cinq personnes autour de moi et que l'on a dû me  réinjecter un produit. J'ai fait une sorte de second réveil tranquille et j'ai attendu de 15 heures à 17 heures que l'on me remonte dans ma chambre. Il y avait un problème au niveau du personnel, trop de patients, plus de brancardiers, on se serait cru sous les obus.

Enfin, on m'a remontée dans ma chambre et là, j'ai vu ma perfusion et mon drain relié à une poche de sang. Je n'ai  voulu regarder ma cicatrice que très tard, le soir. Plus tôt, je n'étais pas prête du tout. La porter était pour moi suffisamment difficile. J'avais la tête penchée en avant et les épaules remontées. Une infirmière m'a dit pour rigoler que je n'étais pas Robocop,  chose que j'ai  plus ou moins bien  prise,  alors je lui ai dit que ce n'était pas très sympa de se foutre de la gueule des patients... , en riant un peu quand même.

 L'assistant- chirurgien est revenu le soir même à mon chevet, ou le lendemain matin, je ne sais plus, et je lui ai demandé si c'était lui qui avait fait l'intervention... parce que je le trouvais bien présent depuis le début, plus que le chirurgien qui devait soit-disant m'opérer. Il m'a rétorqué:"oui, c'est moi qui vous ai opérée, avec Docteur Machin"  Donc j'ai eu la certitude que c'était bien lui. Bref, je me suis dit que c'était pas forcément réglo de ne pas dire aux patients qui opérait exactement. Mais bon, il n'était pas tout seul, c'était chapeauté, j'ai toujours ma voix, mes taux de calciums sont bons, alors... J'avais quand même réussi à refuser la participation à un protocole d'observation sur les corticïdes et la déglutition à mon entrée le matin, car je n'avais pas  envie de faire le cobaye... C'était déjà pas mal.

 Une nuit est passée, entrecoupée toutes les deux heures pour la tension, la température...

Le lendemain de l'opération, on est venu m' enlever le drain qui barrait mon cou. C'est une infirmière très douce qui portait le nom de Nadège qui s'en est occupée.  Elle m'a d'abord parlé de ce qu'elle allait faire. Elle connaissait sans doute le pouvoir analgésique des mots, ce qui la rendait formidablement humaine.Nadège m'a donc enlevé ce tuyau avec beaucoup de détermination et de tendresse dans les gestes, La sensation étrange d'une lame de couteau qui tranche la gorge depuis l'intérieur.  Mais c'est passé, car sa considération m'avait rendue plus forte... Après le retrait du drain, j'ai chialé comme une gosse. Dans une expiration, je l'ai remerciée, pour sa douceur et pour tout ce qu'elle m'avait apporté durant cette courte et longue hospitalisation. Elle m'a dit que c'était normal, que plein de choses s'évacuaient à ce moment-là. 

Le chirurgien en chef, lui,  a été toujours été présent, concis et surtout  bref dans ses passages. Son assistant aussi. J'ai pensé que c'étaient des drôles de métiers que ces métiers-là, avec un peu d'admiration et de regret de les sentir si lointains avec les patients. On leur fournit la matière quand même ! Pas de malades, pas de chirurgiens! Mais certainement qu'il y a une explication à cette distance...

J'ai suis repartie en taxi, avec un monsieur très avenant avec qui j'ai refait le monde pendant une heure en oubliant tout de ce qui venait de se passer. Par respect pour lui, et pour m'éloigner encore mieux de ce que je venais de vivre ... 

Mais la réalité nous rappelle souvent à l'ordre, car il y a toujours les fameux 5% d'erreur de diagnostic qui planent au-dessus de ma tête et qui me font dire que ce n'est peut-être pas fini, alors je suis inquiète...