22.1.08

Un conte à lire en long, en large,en travers, et en profondeur.

Du feu pour Mina.

Mina habitait une petite cabane dans un pays où il faisait toujours froid. Bizarrement, aucun feu ne brûlait dans la cheminée ; Mina ne faisait pas de feu : elle en avait bien trop peur, et rien que l’idée de s’approcher de la moindre petite flamme l’effrayait au plus haut point. Elle était persuadée qu’elle se serait brûlé les doigts si elle s’en approchait de trop près.
Avant, c’était Giro qui s’occupait du feu ; il lui en faisait un chaque jour, mais le feu s’éteignait toujours bien trop vite aux yeux de Mina. Et plus ça allait, plus ils se fâchaient pour ça, « Le feu n’est pas assez fort ! répétait-elle, il ne chauffe pas assez notre cabane !»
En fait ce qu’elle aurait voulu du fond du cœur, c’était un feu magique, un feu qui aurait pu brûler au moins toute une vie ; sans avoir à souffler dessus, sans avoir à ajouter du bois ; un feu que toute l’eau de la terre ne serait jamais arrivé à éteindre.
Un jour, Mina et Giro se disputèrent tellement que celui-ci, de rage, jeta un gros seau d’eau glacé sur le feu et partit. Elle ne le revit plus jamais. « Peu importe ! la cabane où nous vivions était de toute façon bien trop petite pour deux » se disait-elle en boucle. Et puis, je n’aurai qu’à m’habiller de fourrures, elles suffiront à me réchauffer ; ainsi, je n’aurai pas besoin de faire brûler de bois dans la cheminée.
Alors Mina s’acheta d’épaisses fourrures de toutes sortes pour se protéger du froid; mais au fur et à mesure que les jours passaient, elle fut bien obligée de reconnaître que la chaleur d’un bon feu de bois lui manquait plus que tout. Mina aurait bien aimé pouvoir ôter ses vêtements sans grelotter de froid pour se changer ou prendre sa douche. Parfois, la nuit, elle rêvait d’un beau feu de cheminée qui aurait réchauffé tout son intérieur ; elle revoyait Giro souffler doucement sur les braises pour ranimer les flammes ; elle se revoyait aussi, à l’écart, à cause de sa peur incontrôlée du feu. Ce rêve tracassait beaucoup Mina, qui, pour le chasser de son esprit, se répétait : « De toute façon Giro s’y prenait bien trop mal ; je trouverai à coup sûr quelqu’un qui saura me faire de bien plus jolis feux que lui ! » Après avoir prononcé cette phrase, elle haussait trois fois les épaules en guise de petit rituel.

Quelques mois plus tard, Mina rencontra Herbu. Peu de temps après leur rencontre, Herbu vint chez Mina qui l’avait supplié de venir lui faire du feu mais celui-ci était si maladroit qu’il n’arriva même pas à faire brûler une allumette ; ce n’était pas la volonté qui lui manquait pourtant, mais aucun départ de feu ne fut jamais possible avec lui, même pas l’once d’une étincelle.

Un autre jour, elle rencontra Kanji, le plus beau garçon des alentours, mais la première fois qu’il vint chez elle, il lui fit un feu si gros qu’il ravagea tout chez elle. Devant l’ampleur des dégâts, Kanji avait pris peur et avait fui aussi vite que l’éclair. Mina ne le revit plus jamais lui non plus.

Mina mit beaucoup de temps pour reconstruire une cabane à son goût. Mais un jour, avec l’aide de quelques amis, elle y parvint. Sa nouvelle demeure était solide et un peu plus grande que la précédente.
Aussi, Mina avait longuement hésité mais elle avait fini par y placer une belle cheminée en son centre.
Elle avait bien entendu toujours peur du feu, mais elle rêvait en silence qu’un jour cette peur disparût. « Je trouverai bien quelqu’un qui s’occupera du feu dans ma nouvelle maison » se disait-elle, songeuse, devant cette grande cheminée, aussi grande qu’inutile, pour l’usage qu’elle en faisait.
Cela contrariait beaucoup Mina qui aurait bien voulu se débarrasser sur le champ de sa terrible phobie des flammes qui l’empêchait de chauffer sa maison.

Quelques mois passèrent encore, quelques années aussi. Mina avait vieilli. Cela faisait maintenant cinq ans que Giro l’avait quittée.

Un matin où le froid se fit plus rude que jamais, Mina prit la décision de réchauffer la cabane à sa manière : elle repeignit tous les murs, les plafonds et les portes avec de la peinture jaune, orange, et rouge.
Une fois son travail terminé, elle se sentit immédiatement à l’aise dans cette maison où il faisait pourtant si froid.
La nuit venue, Mina s’endormit paisiblement, le sourire aux lèvres, heureuse de savoir toutes ces couleurs gaies sur les murs de son intérieur.

Quelques mois passèrent encore. Mina ne faisait plus ce rêve où elle revoyait Giro devant la cheminée ; et toutes les couleurs de sa maison semblaient avoir un effet bénéfique sur elle : elle chantait souvent et se mettait à danser, aussi ; parfois, elle sortait même la tête à la fenêtre pour parler au ciel, aux arbres et aux oiseaux.

Un jour, alors qu’elle se préparait à sortir, elle entendit frapper à sa porte. Lorsqu’elle l’ouvrit, elle ne vit personne. Seule la petite flamme timide d’une bougie dansait sur le seuil. Machinalement, elle se baissa pour la ramasser et l’installa bien au coeur de sa cheminée.

Ce n’est qu’après avoir fait ce geste, qu’elle réalisa ce qu’il venait de se passer. Elle n’avait pas eu peur de cette flamme. Mina n’avait plus peur du feu. Elle avait miraculeusement guéri de sa phobie.
Alors, le cœur léger comme une plume, elle courut chercher du bois et des allumettes pour faire un feu digne de ce nom, le feu le plus beau de sa vie.
Mais après maintes tentatives, celui-ci ne prit pas. Mina fut bien obligée de se rendre à l’évidence. Elle ne savait pas comment faire un feu. Le bois qu’elle avait ramassé était bien trop vert pour brûler.
Mina se sentit soudain bien seule et pleura une journée et une nuit entière.
Pourtant, le surlendemain, encore épuisée de chagrin, elle retrouva le courage de sortir à nouveau pour ramasser du bois.

C’est ce jour-là, sur son chemin, qu’elle rencontra un certain Ulé, qui lui proposa son aide, et c’est tous deux qu’ils partirent à la recherche de tout ce qu’il fallait pour faire un bon feu.
Une fois chez elle, Ulé se mit à l’œuvre, aidé de Mina ; quelques instants plus tard, une douce chaleur régnait dans la maison colorée de Mina.
Mina et Ulé discutèrent toute la nuit durant devant l’âtre à présent éclairé.
Le feu crépitait dans le foyer ; parfois, bien sûr, il fallait souffler un peu dessus pour raviver les flammes mais Mina se sentait merveilleusement bien. Tard dans la nuit, tous deux s’endormirent, l’un contre l’autre.
Au petit matin, tout le bois avait brûlé, mais Mina ne se désola pas et ne se fâcha pas ; au contraire, elle sourit à son nouveau compagnon et lui proposa d’aller chercher un peu de bois pour réchauffer de nouveau la cabane.

Mina et Ulé devinrent inséparables. Mina n’eut plus jamais peur du feu et chacun décida de faire en sorte que la chaleur règne sans cesse dans leur maison.

Note au lecteur : Si un jour tu passes près de la maison d’Ulé et de Mina, regarde si de la fumée s’échappe de leur cheminée ; si tu n’en vois pas, attends un peu ; ils sont peut être partis chercher un peu de bois.