Ecrire comme un(e) dératé(e).
Une idée. Un thème à l’affiche. Le besoin incompressible de l’écrire.
Le mécanisme se met alors en branle dans ta tête.
Des mots, des images s’approchent, certains sortent à leur fenêtre, d’autres s’activent dans les caves. Dans les ruelles sinueuses de ta pensée, on en voit qui s’élancent et s’écrasent sur un mur ; d’autres s’agitent, se bousculent, embrassent les autres, se tapent dans les mains, dansent, s’enlacent, s’entraînent.
Mi- inquiet, mi-fasciné, tu retiens maintenant ton souffle.
Etrange cacophonie des mots.
Magma d’images.
Préoccupation de ton esprit.
Au cœur de celui-ci, au milieu de cette foule indisciplinée défilant à grand bruit, tu entends des bribes de phrases que tu t’empresses de noter de crainte qu’elles ne se fassent happer par la foule démembrée.
Phrases piliers, combinaisons du coffre fort protégeant les idées à remettre au monde.
Le tohu-bohu de la foule te gêne encore. Ces bribes de phrases, tu as peur de les perdre, tu les sais volatiles, elles sont encore si floues.
Le souffle à demi coupé, tu les invites dans un endroit calme et protégé quelque part dans ta tête. Tu leur laisses la parole, tu les répètes. Et là, ces bribes en invoquent d’autres.
Des mots, des bribes, des phrases en plus. Soudain, celles que tu avais crues inouïes deviennent insignifiantes pour ce que tu voulais signifier, et tu finis par les enlever.
Des mots, des bribes, des phrases en moins.
Et un texte qui se profile à l’horizon, ni plus ni moins.
Tu es à présent toi-même happé par ton propre texte qui se met peu à peu en place, comme un puzzle que tu ne ferais que reconstituer. Tu n’as plus soif, plus faim.
Assidu(e), acharné(e), tu écris comme un(e) dératé(e), à corps perdu, à souffle coupé.
Déchiré(e), mais pas triste. Bouleversé(e) mais pas retourné(e). A nu(e) mais pas humilié(e).
Tu veux contaminer la chair, l’esprit et le sang de tes lecteurs directement par les orbites. Les conquérir avec des potions volcaniques, fruits de dosages explosifs déclenchés par un simple point ou encore une virgule.
Tu approches la diffusion. Tu ajustes. Tu affines. Tu bous d’impatience.
Enfin, fébrile, tu balances ce texte.
Ce tout, ce morceau de toi que tu as arraché avec bonheur finalement.
Ce texte que tu as fait naître, tu le déposes dans un endroit où la marée te semble basse.
Tu sais qu’elle remontera pour emporter celui-ci, le secouer, le faire flotter, le déchiqueter ou le faire couler.
Tu n’y pourras plus rien, il sera lu et ce sera bien fait.